Organisé en partenariat par les Services Industriels de Genève (SIG) et la Fondation Nomads, l’afterwork du 11 mai 2023 s’est déroulé sur le Rhône, au pont de la Machine, ancienne station de pompage datant de la fin du XIXe siècle, transformée par la suite en centrale électrique. Aujourd’hui, l’ouvrage, propriété de SIG, accueille des surfaces commerciales et des salons d’exposition. Pour débattre du thème du jour, quatre intervenants étaient présents: Gaëlle Jourdan Oury, directrice Activité talents et développement des relations humaines, direction des Relations humaines à SIG, Edouard Gentaz, professeur en psychologie du développement à l’Université de Genève et directeur de recherche au CNRS, Christian Oberson, président de HR Genève et expert en management des personnes, et Antoine Pictet, Business Director chez Dreamscape Immersive. La table ronde était animée par les journalistes Irma Danon et Frédéric Thomasset, rédacteur en chef adjoint du magazine « Bilan ».
Aujourd’hui, une nouvelle donne bouleverse le monde du travail: il y a plus de personnes qui le quittent que de personnes qui y entrent. Le baby-boom du siècle dernier n’est plus là pour alimenter le marché de l’emploi, la barre des 100’000 emplois vacants en Suisse a été dépassée l’année dernière et leur nombre pourrait atteindre le demi-million d’ici à 2030. Cette situation a de quoi inquiéter et pose une série de défis aux employeurs qui voient leur main-d’œuvre se réduire inexorablement.
À l’échéance de 2030, SIG aura ainsi vu partir 700 de ses 1700 employés. Depuis trois ans, l’entreprise mène une réflexion sur les métiers pour lesquels il faudra engager du personnel à l’avenir. Pour cela, explique Gaëlle Jourdan Oury, divers scénarios prospectifs sont analysés pour répondre aux défis qui se poseront ces prochaines années, notamment en fonction de l’évolution des technologies, avec la certitude qu’on ne travaillera pas demain comme on le fait aujourd’hui. Les jeunes amènent avec eux une nouvelle culture d’entreprise qu’il faut concilier avec celle des employés plus anciens.
Lorsqu’on parle de solutions d’avenir dans les compétences à développer, Christian Oberson se méfie des recettes simplistes qui prétendent résoudre des problèmes complexes. Il s’en prend aussi à ce qu’il appelle la « fainéantise suisse » qui consiste à importer de la main-d’œuvre à chaque fois qu’elle vient à manquer, et appelle de ses vœux la recherche de véritables solutions, qu’il souhaite plus pragmatiques que théoriques. Ainsi, les jeunes doivent être associés à la réflexion. Or tout le monde a tendance à parler en leur nom sans leur demander leur avis, alors qu’ils sont les premiers concernés. En outre, les décideurs doivent se rapprocher des employés pour trouver avec eux des réponses adaptées à la réalité, fondées sur le bon sens et pas seulement théoriques.
En ce qui concerne la formation, Antoine Pictet estime que la Suisse dispose d’un système performant et efficace et de compétences technologiques dont elle n’a pas à rougir. Sa société utilise la réalité virtuelle issue du divertissement pour permettre une immersion et des interactions dans un environnement professionnel. Une méthode qui s’adresse aux émotions, avec un impact beaucoup plus fort sur le cerveau et la mémoire, qui retiendra plus facilement des expériences vécues – même en réalité virtuelle – que des théories abstraites.
Edouard Gentaz note que depuis dix à vingt ans, l’aspect relationnel et les compétences socio-émotionnelles prennent toujours plus d’importance dans le monde professionnel. Avec l’accélération des changements, les jeunes devront faire face à de nouveaux défis et résoudre de manière collective et très rapide des enjeux nouveaux, comme le Covid ou l’arrivée de ChatGPT. Ceci implique une stabilité émotionnelle qui doit leur être inculquée dès le plus jeune âge pour qu’ils soient à même de gérer leur affect dans des situations extrêmes toujours plus fréquentes.
Christian Oberson insiste sur l’importance, aujourd’hui dans le monde du travail, de pouvoir travailler avec les autres et de créer des liens lorsqu’il faut gérer l’urgence. Par rapport aux compétences techniques, les compétences humaines deviennent alors primordiales. Or celles-ci ne sont enseignées nulle part, au contraire des connaissances techniques. Gaëlle Jourdan Oury signale qu’à SIG, depuis plusieurs années, on évalue à parts égales les savoirs techniques et les compétences sociales et on recrute en priorité des personnes disposant de ces compétences relationnelles.
En conclusion, à l’avenir, les exigences professionnelles ne se limiteront plus aux seules connaissances acquises durant les études. Elles seront plus transversales, couvrant un large faisceau allant de l’intellect au comportement. La culture, la mémoire, la performance et le savoir-faire devront s’accompagner d’un savoir-être permettant de gérer les émotions, le changement, l’urgence, l’imprévu, ainsi que de qualités relationnelles indispensables au travail en équipe. Ces valeurs humaines, jusqu’ici négligées dans la formation, doivent être inculquées dès l’enfance, car il est difficile de les intégrer sur le tard. Et, en ce qui concerne les compétences techniques, le monde du travail devra apprendre en permanence pour répondre aux nouveaux défis auxquels les métiers seront confrontés. Dans ce contexte, le recrutement de nouveaux collaborateurs doit trouver un équilibre non seulement entre des exigences techniques et humaines, mais aussi entre les besoins de l’entreprise et les aspirations de ses nouvelles recrues.