L’hydrogène en Suisse : entre ambition et réalité
Le 13 décembre 2024, le Conseil fédéral publiait sa « Stratégie hydrogène pour la Suisse », posant un cadre pour son intégration dans notre système énergétique. En tant que pilote du Réseau H2 Suisse romande au sein de la Fondation NOMADS, nous ne pouvons que saluer cette avancée, qui introduit enfin le rôle probablement clé de l’hydrogène dans notre transition énergétique. Mais cette reconnaissance reste timide face à la réalité du terrain et aux besoins impératifs d’un déploiement plus rapide et plus ambitieux.
Une stratégie bienvenue, mais est-ce suffisant ?
La stratégie du Conseil fédéral fixe des principes louables : priorité à la neutralité carbone, intégration au marché européen et développement d’infrastructures. Elle acte aussi la nécessité d’organiser le marché, avec une production locale vouée à réduire toute dépendance aux importations. À y regarder de plus près, cette ambition repose encore sur des bases fragiles.
Le secteur privé, lui, n’a pas attendu. En Suisse, nous observons un réseau d’acteurs engagés, avec notamment une quinzaine de stations de recharge et plusieurs dizaines de camions à hydrogène en circulation. L’histoire nous a montré que les grandes infrastructures — qu’il s’agisse du rail, de l’hydraulique ou de l’électrification — ne se sont jamais développées sans un soutien représentatif de l’État. Or, dans le cas de l’hydrogène, la Confédération semble rétive à octroyer des incitations financières fortes, à l’inverse de l’Union européenne qui promeut ce secteur.
Le coût de l’hydrogène : « concurrence déloyale » !
Alors que les énergies fossiles ont bénéficié d’investissements massifs pendant plus d’ un siècle, l’hydrogène, malgré son potentiel prometteur, n’a commencé à attirer des capitaux que très récemment. De plus, ces investissements sont encore très largement inférieurs à ceux réalisés dans les énergies fossiles. Par analogie, les coûts de production de l’énergie solaire ont maintenant atteint un niveau très compétitif, grâce à un soutien massif des gouvernements depuis plusieurs décennies, et ceci y compris en Suisse. Pour que l’hydrogène atteigne des niveaux de coûts compétitifs, il faut des politiques de soutien similaires à celles qui ont bénéficié à l’énergie solaire. Pour rappel, l’hydrogène parait actuellement le seul vecteur énergétique permettant de décarboner des applications où la densité énergétique est cruciale, comme les transports lourds et l’industrie.
Un appel à une politique plus ambitieuse
L’hydrogène n’est pas une alternative parmi d’autres. Il constitue une solution stratégique du mix énergétique pour garantir notre indépendance énergétique et atteindre nos objectifs climatiques. Mais pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle, il faut que la Confédération s’engage avec plus de volontarisme, ce qui induit un soutien financier plus clair, une réglementation cohérente et une volonté politique à la hauteur des enjeux. Le potentiel est là, les acteurs sont prêts, mais sans un cadre favorable, la Suisse risque de passer à côté de cette opportunité historique.
La stratégie hydrogène de la Suisse : un rappel nécessaire
Pour conclure ce billet, il me semble utile de rappeler les grandes lignes de la « Stratégie hydrogène pour la Suisse », qui se présente à nous. La Confédération prévoit un dispositif en trois phases : tout d’abord la création d’infrastructures locales jusqu’en 2035, puis une montée en puissance des importations et enfin, une intégration complète au marché énergétique européen d’ici 2050. L’accent est mis sur la production d’hydrogène renouvelable, son stockage et son utilisation dans la mobilité lourde et l’industrie. Ce plan met en avant l’importance de la recherche et du développement, avec un soutien aux projets pilotes et aux innovations technologiques. Il demeure néanmoins un peu vague sur les moyens concrets de financement et d’incitation à l’investissement. À ce stade, nous devons veiller à ce que ces objectifs ne restent pas des intentions, mais se traduisent en actions tangibles, au bénéfice d’une Suisse plus indépendante énergétiquement et plus durable.