Mercredi 26 avril 2023, la Fondation Nomads organisait son 4e Décarbona’brunch, en partenariat avec IWG plc et Swiss Youth for Climate, au Spaces Main Station de la rue de Lausanne, à Genève. Cette table ronde, animée par la journaliste Irma Danon, a réuni Franco Tufo, chargé de cours Hepia et EPFL et directeur général du groupe Citec, Sandra Brazzini, codirectrice de Mobilidée, Yves Gerber, directeur du TCS Genève, et Sébastien Fabre, codirecteur de la Fondation Nomads chargé de l’énergie et de la mobilité.
Lorsqu’on parle de neutralité carbone à atteindre en matière de mobilité à l’horizon 2050, il est difficile pour beaucoup de réaliser comment cet objectif va se traduire dans la vie de tous les jours, ce qu’il impliquera pour chacun et comment on pourra y parvenir concrètement.
Afin de dresser un tableau de la situation actuelle et des défis auxquels il faudra répondre ces prochaines années, Sébastien Fabre a choisi cinq chiffres particulièrement éloquents:
- 5 kilos par semaine et par habitant: c’est la limite d’émissions de CO2 pour la mobilité qu’on ne devra pas dépasser pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cela ne représente qu’un peu plus de 6 allers-retours Genève-Lausanne en train.
- 14 tonnes de CO2: c’est ce que chaque Suisse consomme par année. Au niveau planétaire, ce chiffre tombe à 6 tonnes par habitant. Pour atteindre la neutralité carbone, ce montant devrait se limiter à 1 tonne par habitant.
- 3/4: c’est la proportion d’énergie fossile que la Suisse importe pour ses besoins. Notre consommation provient principalement des combustibles fossiles (63%).
- 1/2: c’est la proportion des trajets de moins de 5 km parcourus en voiture dans le Grand Genève. Un tiers des trajets ne dépassent pas 3 km.
- 50%: c’est la quantité de CO2 par kilomètre qu’une voiture électrique de petite taille consomme en moins par rapport à une voiture à moteur thermique.
Lors de cette table ronde, il est apparu qu’il ne suffira pas de remplacer sa voiture thermique par une électrique pour atteindre la neutralité carbone. Il en faudra beaucoup plus, comme partager les moyens de transport individuels et réduire les déplacements. Ce qui implique de gros efforts, notamment pour sensibiliser la population aux changements de comportement indispensables.
Ces changements de comportement devront se faire sur plusieurs axes:
- privilégier l’utilisation des transports publics chaque fois que c’est possible
- remplacer les voitures thermiques par des véhicules électriques de moindre taille
- ne pas utiliser la voiture pour les trajets courts, mais opter pour le vélo, voire la marche
- simplifier les applications numériques de mobilité partagée pour en stimuler l’utilisation
- repenser les lieux de domicile par rapport aux lieux de travail.
Pour Franco Tufo, qui se penche sur ces problématiques depuis 30 ans, les pouvoirs publics disposent d’un véritable levier sur les modes de déplacement. Par la gestion du stationnement, en adaptant l’offre en parkings voiture et en améliorant l’offre deux-roues, ils peuvent influencer les usagers à utiliser une alternative à leur voiture. L’enjeu climatique est de reporter les distances longues sur les modes de transport les plus efficients et bas carbone. Les plans de mobilité d’entreprises qui favorisent un usage différent de la voiture, notamment par la gestion du stationnement, sont des leviers importants. Etant donné qu’une voiture individuelle est garée durant 95% de son existence, l’espace réservé à son stationnement (près de 25 m2 par place de parc) a une emprise considérable sur le territoire, surtout s’il faut une place au domicile et une deuxième au travail. Le ratio entre les surfaces dévolues au parcage et celles destinées au logement en devient disproportionné. C’est pourquoi une gestion intelligente des ressources en stationnement de la part des collectivités et des privés s’impose.
Sandra Brazzini, pour sa part, plaide en faveur d’une sensibilisation des entreprises. En mettant en place leur propre plan de mobilité, celles-ci peuvent avoir une grande influence sur les déplacements de leurs collaborateurs qui se rendent au travail ou se déplacent pour leur entreprise. Cette gestion des trajets doit permettre de valoriser le recours aux transports publics, au covoiturage, à l’autopartage, aux P+R, voire au télétravail. Elle estime que même des mesures légères peuvent avoir des effets visibles, prenant pour exemple la réduction de 8% de la circulation durant les vacances d’été, qui permet de fluidifier le trafic dans des villes généralement saturées.
Yves Gerber, quant à lui, insiste sur le fait que les mesures prises ne devraient pas pénaliser les conducteurs qui n’ont pas la possibilité de changer de mode de transport. Rappelant que les automobilistes ne sont pas qu’automobilistes, mais aussi piétons, cyclistes ou usagers des transports publics par moments, il souhaite que la pluralité des moyens de locomotion soit encouragée, tout comme le partage des véhicules. Il pense aussi qu’il faudrait moduler les horaires de travail des pendulaires ainsi que la capacité des transports publics, afin d’éviter des trains et des bus bondés aux heures de pointe et presque vides aux heures creuses. Cela permettrait d’optimiser leur utilisation.
Au terme de cette table ronde, le public a eu l’occasion de s’exprimer et de poser des questions aux intervenants. Il a notamment soulevé le problème du prix des billets d’avion, souvent très bas, par rapport à celui du train, jugé trop élevé, ce qui pénalise le moyen de transport le moins polluant sur les longues distances et favorise le plus gros émetteur de CO2.
En conclusion, ce Décarbona’brunch de la Fondation Nomads a permis de mieux cerner les enjeux auxquels nous devrons faire face pour atteindre les objectifs fixés en matière de mobilité à l’horizon 2050. Outre une réduction de nos déplacements, il faudra opter pour des voitures moins grosses et à moteur électrique, favoriser l’autopartage et le covoiturage. Mais ce n’est que l’addition des efforts de chacun qui permettra d’y arriver.